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Gea Zazil - créatrice lumière, danseuse et chorégraphe.

Dernière mise à jour : 31 mars



J’ai rencontré Gea pour la première fois en pleine tempête de neige. Mi-janvier, alors que toute la Belgique est couverte de blanc, elle présente Apapacho au Théâtre de la Parole, un spectacle pour enfants sur la culture mexicaine mêlant conte, musique et danse. Quelques semaines plus tard, je la rejoins chez elle, dans son appartement ixellois. On partagera deux heures ensemble, autour d’un café et de quesadillas.


Une rencontre à l’image de Gea, passionnante et passionnée, lumineuse et généreuse. L’occasion de parler de son parcours, de comment générer sa chance, de l’utilisation des “nouvelles” technologies dans l’art et de la gestion de son héritage.


On démarre naturellement la discussion en parlant d’Apapacho, son dernier spectacle en date. Tout commence par une demande de l’école de sa fille qui cherche un spectacle pour la Saint-Nicolas. Nait alors Cadeau, qui deviendra ensuite Apapacho, où la culture mexicaine s’offre comme un cadeau. 


Gea a l’habitude de travailler avec les enfants. “Pour payer mes études universitaires au Mexique, je donnais déjà cours à des enfants. Ce que j’apprenais sur les bancs de l’école, je le mettais en pratique avec eux. C’est comme ça que j’ai commencé à développer une méthode propre, un laboratoire de danse pour enfants, où ils pourraient créer leurs propres chorégraphies”.


Elle emmène cette méthode de travail dans ses valises quand elle part pour la Belgique. Un travail exigeant mais complémentaire à ses projets pour adultes. “Les enfants sont un public merveilleux. Ils sont très sincères. Si quelque chose ne fonctionne pas, ils te le feront sentir”. Ils sont finalement le terreau de son travail comme danseuse, chorégraphe et créatrice lumière. “Tout ce que je fais, je l’essaie d’abord avec les enfants. Je peux expérimenter toutes mes folies, ils n’ont pas de préjugés. Si cela fonctionne avec des enfants, cela fonctionnera avec des adultes”


Ingurgiter les réseaux


Et de fait, pendant la pandémie, alors qu’elle ne peut plus donner ces laboratoires de danse en présentiel, elle développe les “videoconfedanzas”, un atelier de danse et d’expérimentation en virtuel. Le confinement lui a permis de trouver un nouveau mode d’expression, “travailler avec les possibilités de l’écran comme outils de création”. Une expérience qui, à son pic, réunira les enfants derrière leurs écrans trois heures par jour.  


Ce travail avec les enfants trouvera son pendant dans le monde des adultes avec un workshop virtuel, Dance your PhD, une collaboration avec le professeur Nicolas Kervyn de l’université de Louvain-la-Neuve. Il s’agit d’un concours international, au cours duquel des doctorants doivent expliquer leur sujet de recherche via la danse. Un projet de divulgation scientifique par le biais de la création artistique et de la technologie qui s’est développé pendant la pandémie et continue encore aujourd'hui, sous le nom Dance your research.


L’idée derrière ce projet est que “toute chose qui a une place dans le monde réel, doit trouver son équivalent dans l’espace virtuel”. Cela l'amène à ingurgiter en permanence des réseaux sociaux, pour étudier les formes de ce langage nouveau. Gea est convaincue que ces outils doivent être assimilés par tout le monde: “Notre génération a une responsabilité très grande dans la création de contenu. Les personnes de mon âge ne savent pas comment appliquer ces outils à leur profession. Et par conséquent, nous laissons cet espace d’expression dans les mains des jeunes générations, qui parlent d’expériences de leur âge. Ce qui est normal! Mais notre abandon de ces espaces empêchent la transmission entre générations”.  


Pour Gea, l’utilisation de la technologie et des réseaux sociaux est fondamentale dans son travail et constitue un terreau fertile de création. “Apapacho est caractéristique de mon travail. C’est une création hybride mais en réalité… Apapacho est un Tik tok!”. En effet, pour ce spectacle, Gea dissèque la mécanique du réseau social et s’approprie toutes ces couches de langage (visuel, écrit, sonore), c’est une ressource qui sert son discours. “Apapacho est pensé de cette manière et inconsciemment le public possède déjà ce langage. Mais cette construction aurait été impossible il y a 10 ans de cela”


Apapacho - création de Gea Zazil


“Je ne regarde jamais derrière moi”


Ce qui forge l’admiration chez Gea, c’est la quantité de projets qu’elle mène en parallèle avec une apparente fluidité et décontraction. Au moment de préparer ma rencontre avec elle, je reste impressionné par tous les contacts qu’elle a su développer depuis son arrivée en Belgique. Un réseau impressionnant d’interlocuteurs, de partenaires qu’elle a construit de zéro. 


Gea est arrivée en Belgique en 2009. A l’époque, elle vit au Mexique, où elle danse pour des compagnies, s’occupe de la création lumière de spectacles, tout en étant en couple avec un Belge. Suite à des problèmes à la colonne vertébrale qui l’handicape dans son travail, elle décide de venir se soigner en Belgique. Une décision qu’elle imagine provisoire mais dont elle entend profiter un maximum. Pendant deux ans, elle se soigne, apprend le français et désire travailler pour les meilleures institutions culturelles afin de valoriser cette expérience de retour au Mexique. 


C’est comme ça qu’elle frappe à la porte de l’Opéra de la Monnaie. Ou plutôt qu’elle met le pied dans la porte. “Ma philosophie est de toujours aller poser la question. Dans ma tête, j’ai déjà le refus, mais je n’ai pas peur d’aller demander d’abord”. C’est ainsi qu’un matin, fin 2010, elle débarque à l’accueil de l’Opéra, son laptop sous le bras, et demande à parler au producteur. Après une heure d’attente dans le hall, elle finit par le harponner à la sortie de sa pause déjeuner. Elle rencontre Carlos Proenza qui, par chance, parle espagnol. Elle lui présente succinctement ses créations au Mexique et décroche un contrat de stage dans l’équipe lumière de l’Opéra le jour même. “J’ai pris le risque, toute ma vie a été comme ça, j’arrive avec mes gros sabots, je ne regarde jamais derrière moi”


En 2011, une loi appelle les institutions culturelles à une plus grande parité dans leurs équipes techniques. Dans le milieu très masculin de la régie lumière, Gea est la candidate idéale. Le bon lieu, au bon moment. Finalement, Gea la polyvalente restera 10 ans à l’Opéra, alternant entre les départements lumière et costume. 


Une expérience qui faillit ne jamais voir le jour. En 2011, elle était séparée de son copain et tout son cercle d’amis partait de Bruxelles. Gea sent qu’elle a fait le tour et achète un billet pour retourner au Mexique. “Ce jour-là, je rencontre mon mari actuel, le père de ma fille, et je ne suis jamais parti”. Il y a des jours comme ça, qui redéfinissent le reste d’une vie. 


"Une femme de la côte d’Acapulco, avec tout ce que cela implique"


La mexicanité est au cœur de tous ses projets. Un intérêt qui surgit de son parcours personnel. A 9 ans, elle rentre à l’Institut Mexicain des Beaux-arts et y étudie la danse contemporaine et les danses traditionnelles mexicaines. Pour autant, au Mexique, sa passion pour les danses populaires se retrouve vite corsetée. “D’un côté, elles ne sont pas appréciées à leur juste valeur, à cause de préjugés de classe sur ce que devraient être “les beaux-arts” mais c’est aussi une discipline avec énormément de codes. Les folkloristes mexicains de l’époque étaient très stricts et conservateurs sur ce qui pouvaient être faits ou pas dans le folklore”.


C’est finalement à son arrivée à Bruxelles qu’elle trouve son identité dans la danse, sa mexicanité, faite de contraintes mais aussi d’opportunités. “Quand je suis arrivé ici, je me suis senti libre de faire ce que je voulais. D’un côté, je me trouvais dans la Mecque de la danse contemporaine, la compétition était très dure dans ce secteur-là”. Mais personne ne connaissait les danses traditionnelles mexicaines. “C’est ainsi que j’ai voulu profiter de la liberté que me donnait mon identité. Depuis, toutes mes créations suivent cette ligne-là, un ancrage très profond dans la culture mexicaine mais avec un langage contemporain”


Une identité qui s’est enrichie davantage ces dernières années. Enceinte de sa fille, Gea connaît quelques problèmes de santé. Des soucis qui, selon son gynécologue, sont caractéristiques des femmes de la communauté afro-caribéenne. Gea découvre alors qu’elle est afrodescendante. “Beaucoup de choses ont commencé à faire sens à partir de ce moment-là. A l’école de danse, j’étais entouré de petites filles blanches, j’étais la plus “morena”(brune) du groupe”


Au Mexique, le thème de l'afro descendance est un énorme tabou. Gea pensait que sa couleur de peau, sa morphologie et ses traits provenaient d’un passé indigène. “On n'en avait jamais parlé à la maison”. Gea vient d’Acapulco, une région côtière où se trouve une communauté afrodescendante, arrivée au Mexique comme esclave au service de la Couronne espagnole. Quand Gea découvre ses origines, elle commence à poser des questions à son entourage. Sa mère lui révèle alors que lorsqu’elle était enceinte d’elle, son grand-père maternel était venu s’excuser car “la petite aura probablement des traits afro”


Au Mexique, c’est un stigmate lourd à porter. “Pour mon grand-père c’était une honte, “cosas del diablo” (choses du diable), comme on dit. Il avait une autre langue qu’il se refusait de parler, il avait trop peur de la discrimination”. Des racines récupérées sur le tard pour Gea mais qui sont essentielles. Son prochain projet parlera de cet héritage. Aujourd’hui, elle s’identifie beaucoup plus avec les racines de sa région d’origine, “je suis une costeña d’Acapulco, avec tout ce que cela implique”.


C’est cette nouvelle identité qui l’amène à s’intéresser aux perspectives décoloniales qu’elle entend appliquer à sa discipline de l’éclairage scénique. “La création lumière, c’est la base de tout dans une salle de spectacle. Sans lumière, tu ne vois rien! Et cette base nous est enseignée d’un point de vue eurocentrique. A l’école, on nous apprend que tout commence avec le théâtre grec. L’idée est de commencer à travailler sur d’autres points de vue. Par exemple, de par notre situation géographique, la lumière - et donc les couleurs - sont plus intenses en Amérique latine”


Une expérience migratoire inscrite dans l’Histoire 


A l’instar de son héritage, qui impacte sa création et s’inscrit dans l’histoire raciale du Mexique, Gea a conscience que son parcours migratoire est aussi le fruit d’une Histoire qui la dépasse. Pour un de ces projets, elle interviewe des immigrés mexicains installés à Bruxelles, de plusieurs générations différentes. 


Depuis quelques années, elle voit un changement dans le profil des Mexicains installés à Bruxelles. “Ceux arrivés il y a 30 ans ont très peu de liens avec le milieu latino. Ils ont dû effacer leur identité mexicaine pour s’intégrer au système belge. Ils n’y retournent quasi jamais d’ailleurs”. Elle revient alors sur l’importance des réseaux sociaux, “comme ils n’y sont pas présents, ces générations nous sont inconnues, on perd leur trace”. Pourtant ce sont eux qui ont tracé la voie pour ceux arrivés par après, comme elle. “La vie en Belgique n’est pas facile mais elle l’est plus qu’avant. Dans le domaine de la danse, le chemin culturel était déjà tracé pour nous et nous, “lo petamos todo” (ça a bien marché pour nous)!”


Une dynamique qui continue à s’accentuer avec la globalisation, les bourses d’études et les multinationales qui font leur marché partout dans le monde. L’immigration mexicaine est représentée dans tous les milieux, tous les secteurs professionnels, toutes les couches sociales. “Pour ma génération et celles qui s’installent maintenant, retourner au Mexique régulièrement est une nécessité et une exigence”. Une intégration facilitée par l’image renvoyée par le Mexique à l’international: “c’est un grand travail de marketing qui a été réalisé là. Les gens d’ici associent directement le Mexique à une image positive, ça aide pour s’intégrer”


Pour conclure notre rencontre, je propose à Gea de prendre une photo dans la cour de son immeuble avec un objet qui symbolise son parcours. Elle choisit de prendre la pose avec ses chaussures de danse qui viennent directement du Mexique. Des chaussures noires à talons, aux semelles usées par l’exercice. “Ce sont des talons spéciaux, qu’on appelle talons “muñeca”. Ils sont plus gros que les talons de flamenco. Les danses mexicaines demandent plus de stabilité car on se déplace énormément sur scène”


De la stabilité dans un mouvement permanent. Gea ne pouvait pas m'offrir meilleure métaphore personnelle pour conclure cette rencontre. 


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