Début décembre, je traverse la ville dans le froid pour rejoindre Diego Herman à son atelier. Diego est un jeune peintre bruxellois, aux origines mexicaines, qui expose pour la première fois à la Husk Gallery (Uccle) jusque fin décembre. Entre grillages et pinceaux bien alignés, avec Diego, on a parlé des thèmes qui entourent son expo et son projet artistique en général, de son lien avec le Mexique et de comment il vit sa biculturalité.
Depuis début novembre et pour encore quelques semaines, la Galerie Husk abrite “How to see through a fence”, la première exposition solo du peintre Diego Herman. Diego est un jeune artiste bruxellois d’origine mexicaine et propose à Uccle une introduction à l’ensemble de son travail. Un travail en série qui est, comme le nom de l’exposition l’indique, principalement tourné autour du grillage.
Un grillage dans tous ses états
Le grillage comme objet, comme texture, comme symbole. Tout a commencé au Mexique, dans les carnets des étudiants de son grand-père, professeur d’université à l’UNAM en faculté de sciences vétérinaires. Une de ses étudiantes photographie des oiseaux en captivité dans un zoo de Mexico. “Il y avait quelque chose de spécial dans cet oiseau, il était comme un objet précieux”. Un joyau entouré de grillages dont Diego reproduit le motif instinctivement. C’est alors que se produit un pressentiment autour de cette texture. Un motif qui ne le quittera plus.
Diego est intarissable sur le sujet. Au niveau technique, il les reproduit en contreforme, en peignant d’abord le fond de la toile et en venant apposer par après, presque en mosaïque, les carrés intérieurs aux grillages. Cela offre un rendu lumineux, “comme des néons”, visuellement attractif dû à la répétition du motif géométrique. Depuis peu, il développe une nouvelle technique en appuyant un véritable grillage contre la toile, qu’il peint ensuite à la bombe. “Avec cette technique, on retrouve une espèce d’empreinte, comme un ancêtre de la photographie. J’ai commencé cette technique dans un contexte un peu spécial. On devait quitter la maison de mon enfance et ce grillage entourait le jardin. C’était une manière de conserver une empreinte, un souvenir hyper physique de ce ressenti”.
Le peintre s’empare d’un objet, à la fois banal et violent, et s’amuse à en tordre la signification. “Il existe alors une tension entre ce que tu sais de la grille et ce que tu vois. Un grillage, c’est transparent, ton corps ne peut pas le franchir mais les yeux, oui. Cela transmet l’idée d’un paysage inaccessible que tu aurais encore plus envie de découvrir”. Un objet d’autant plus fort qu’une grande partie de la famille de Diego habite au Mexique, notamment à Tijuana, à la frontière avec les Etats-Unis. “Cette frontière, je vais la voir depuis que je suis petit. C’est un peu étrange, c’était comme une attraction touristique”. Une barrière fait du même bois que toutes les autres. “A chaque fois que quelqu’un met une ligne quelque part pour délimiter, il reproduit essentiellement le même geste : diviser l’espace public en deux, créer l’étranger, différencier ce qui est dedans de ce qui est dehors”.
Une réflexion qui continue avec la série de peintures de coyotes. Ces peintures s’inspirent de rushs de vidéos infra-rouge d’un fermier étasunien qui, pour protéger ses vaches, s’arme à l’excès pour venir à bout de ces animaux qu’il considère nuisibles. “Le coyote c’est pareil, c’est l’étranger. Bien que ce soit l’animal natif d’Amérique du nord par excellence. Il est considéré nuisible parce qu’ils bouffent des vaches qui n’étaient pas là à la base, qui ont remplacé les bisons, eux-mêmes buttés par les colons pour que les populations natives n’aient plus de moyen de subsistance. Derrière cette série, il y a tout cet immense délire. En fait, tu deviens nuisible quand tu n’es pas profitable. Avec un grillage, on peut faire de toi un étranger sans que tu le sois. Le coyote, on décide pour lui qu’il n’est plus chez lui”.
Une profonde réflexion sur nos comportements, bien que les humains soient totalement absents des toiles de Diego. “Ma conviction, c’est que je fais de la peinture de paysage qui remplit le rôle d’une peinture de portrait. Ça parle de l’homme sans le peindre”. Comme par exemple, cette peinture d’un épi de maïs, nommé “Autoportrait”, en référence au mythe aztèque de la création des hommes à partir de grains de cette céréale.
Une réflexion qu’il peut mener à bout par le biais de la peinture alors qu’au départ, il se destinait à l’illustration. “J’ai capté que j’étais potentiellement un peintre, quand j’ai compris que j’étais un mauvais illustrateur. Mes illustrations prenaient à chaque fois plus de place, devenaient des images en pleine page. En illustration, à Saint-Luc, chaque image doit être intelligible, elle illustre, elle est au service du texte. Il n’y a pas d’espace pour le mystère”. Il termine son bachelier, entame un job alimentaire et se reconnecte alors avec la peinture. “Je peignais le soir en secret, comme exutoire de la brutalité du monde du travail. Puis j’ai eu la chance d’être acceptée à l’académie”.
La barrière comme métaphore de sa biculturalité
Une réflexion sur son art qui est aussi animée par son parcours personnel et ses origines. Fils de mère mexicaine, ancienne cantatrice, Diego grandit dans un foyer au carrefour de deux cultures, ce qui génère beaucoup de questions sur son identité et son sentiment d’appartenance. “Le grillage, c’est ça aussi, cela crée deux côtés, ça implique que tu es d’un côté ou de l’autre. En tant qu’enfant de deux cultures, je suis le grillage, je suis la limite, la lisière, la ligne où ces deux entités se touchent”.
De plus, le Mexique n’est pas un pays anodin dans le milieu de la peinture. C’est un pays riche en traditions, en pratiques artistiques. Et en peintres mondialement reconnus avec un point de vue fort. Un destin tracé dans les étoiles pour Diego Herman dont la légende familiale veut que le prénom vienne du muraliste homonyme Diego Rivera. “La seule fois où j’ai séché les cours en secondaire, je suis allé aux Beaux-Arts à Bruxelles voir une exposition sur Frida Kahlo. Pour être tout à fait honnête, j’avais séché parce qu’on m’avait rasé le crâne et je ne voulais pas aller à l’école”. Un hasard qui fait bien les choses tant le travail de l’artiste mexicaine interpelle Diego. “C’est un art populaire, autant dans le traitement que dans le sujet. Il y a quelque chose d'immédiat. C'est comme le muralisme, il y a une idée de rendre l’art utile. Ce n’est pas le rendre accessible, c’est le rendre utile. Il y a une volonté d'instruire les gens, de les servir, de leur faire apprendre l’histoire”.
D’ailleurs, à l’heure actuelle, c’est du côté de sa famille mexicaine qu’il ressent le plus de soutien dans sa carrière artistique. Cette double identité, qui engendra des situations compliquées pendant l’enfance, est devenue une force. “Quand j’étais petit, j’avais souvent droit à des réflexions racistes à l’école. Alors qu’au Mexique, on m’a toujours fait comprendre que j’étais le bienvenu. Dans mon travail actuel, j’exploite ces origines, je joue dessus, c’est une richesse dans mon parcours. Je l’ai tellement subi quand j’étais petit, mais maintenant c’est devenu un avantage. Avoir ces deux cultures, on m’a souvent fait comprendre que j’étais 50/50, moitié/moitié. Alors qu’en vrai, on est deux fois 100. Ces cultures, elles s'additionnent, elles se superposent, elles ne se divisent pas”.
Une superposition de cultures qui le réussit vu les premiers retours positifs et de nouvelles opportunités d'exposition en 2025, auprès d'autres institutions culturelles en Belgique. Avant de nous quitter, je demande à Diego sa définition du "hogar" (foyer) et un objet qui s’y rapporte. “Mon histoire personnelle fait que l'idée de foyer est fragile. J’ai grandi dans plein d’endroits, j’ai souvent déménagé. Les endroits où je me sentais bien, j’ai toujours fini par devoir en partir. Mais j’ai la chance de peindre des choses qui sont proches de moi et parfois, ça devient des empreintes, des souvenirs. Comme la grille de mon jardin”. Des peintures comme foyer, avec un fil conducteur grillagé.
Info:
"How to see through a fence", de Diego Herman.
Husk Gallery, Ch. de Waterloo 690, 1180 Bruxelles.
Jusqu'au 21 décembre.
© Diego Herman
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